Marrakech
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Voyage vers Marrakech : H00tel,Restaurant,Jardin Marrakech - Maroc

La Koutoubia dans les écrits d’André Chevrillon

Marrakech dans les palmes

Marrakech, avril 1913

« Sous la conduite amicale d’Alfred Droin, le soldat-poète, qui, depuis de longues semaines déjà, écoutait les voix de cette vieille cité, ma première sortie fut du côté de la Koutoubia. C’est la tour almohade, sœur illustre de la tour Hassan, de Rabat, et de la Giralda, de Séville. Toutes trois furent construites à la fois, contemporaines de nos dernières cathédrales romanes, à l’époque où la seconde dynastie saharienne régnait sur le Maghreb et sur l’Andalousie.

A Séville, devant la Giralda trop vernissée, où sonnent des cloches chrétiennes, on s’efforce d’imaginer le temps où ces lignes de pierre et de mosaïque signifiaient une autre âme, une humanité différente. Même impression qu’au Panthéon de Rome, sous la coupole catholique où régnèrent les dieux païens. Seulement, en Espagne, ce monde évanoui dont on vient chercher la trace, on sait qu’il se survit ailleurs, dans ces vieilles villesdu Maroc dont la jeunesse fut sœur de celle de Séville. Au pied de la Giralda, où l’Islam apparaît comme une chose des temps abolis, je rêvais du minaret de Marrakech, de la tour jumelle qui n’a point changé d’âme. Elle m’attirait, mystérieuse, à la fois actuelle et participant de ce qui n’est plus.

El la voici, solitaire, vieille reine ruinée du désert, à part dans ce quartier abandonné, dominant de très haut tous les autres minarets, la première à signaler aux caravanes la ville dont elle a toujours formé le trait personnel, ―et pourtant si ordinairement et simplement musulmane, si pareille de type au plus humble, au plus moderne de ces autres minarets. Une vieille reine auguste, mais de même race que ses jeunes suivantes. Elle a huit siècles, mais l’idée qui la dressa est active encore, et continue de mettre au jour des formes semblables, comme la religion nous répète toujours le même musulman.

Au balcon de sa lanterne, je distingue la petite potence où, cinq fois par jour, monte le drapeau blanc qui signale l’heure de la prière. Aussitôt paraît la petite figure de muezzin qui commence à tourner lentement à ce belvédère, s’arrêtant à chaque face pour élancer aux quatre coins du ciel le long cri mineur et tremblé de passion qui atteste le Dieu unique. Et très vite, au loin, sur tous les minarets de la ville, la même clameur enthousiaste se propage, se multiplie. Ô brusque et poignant émoi ! Comme soudain et presque tristement, ces voix étranges nous emportent loin de nous-mêmes, au cœur d’un monde qui n’est pas le nôtre ! Un à un les solennels glapissements se taisent ; un à un les drapeaux blancs disparaissent des potences. Sur Marrakech muette et prosternée, a sonné la formule de l’absolu musulman, celle où se suspend tout l’ordre du monde, de la société, de la vie, pour l’humanité d’Islam.»

Au dessus de la ruine des hommes et des choses, avec quelle tranquille majesté se lève l’antique tour ! Elle monte à deux cent quarante pieds, si spacieuse qu’un homme à cheval en peut gravir la rampe intérieure. Une architecture de grand appareil, simple juxtaposition de blocs, à la romaine. L’une de ses verticales coupe encore l’azur avec la précision d’une arête de cristal. Sur chacune de ses quatre faces, trois puissants décors ―rectangles, arcs mauresques, inscrits les uns dans les autres― marquent les temps de son ascension, et si exacts, enfoncés dans la pierre, ne la perçant qu’à l’ogive étroite et noire de leur centre, semblent imposés par un sceau : le sceau arabe, le chiffre propre de la race, attestant la gloire et l’orgueil du passé.»


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