Le souk des Musiciens dans les écrits de Jules Borely.
Le Maroc Au Pinceau.
Marrakech, 1927
A la sortie de ce souk et à l’angle formé par deux rues s’entrecoupant dans un recoin obscur, j’ai fait une longue station devant la toute petite boutique- tout ce qu’il y a de plus pauvre – d’un marchand de gounbris. Le gounbri est un petit instrument de musique à deux cordes. Le manche en est fait d’un bout de bois arrondi et la caisse de résonance est une poche en bois de la grosseur d’une petite carapace de tortue, fermée d’une peau tendue sur ses bords. Les enfants perdus du pays en tirent, la nuit dans les cafés maures, une musique si discrète qu’ils peuvent la faire entendre à deux pas de ceux qui dorment, étendus sur des nattes, sans craindre de les réveiller.
Ceux qui vendent ces petits instruments sont aussi ceux qui les fabriquent. Je me trouvais chez l’un de ces petits fabricants. Sa boutique était juste assez grande pour le contenir, lui et deux douzaines de ses gounbris accrochés au mur derrière lui. Je voyais bien que le marchand était un homme barbu, poivre et sel, sur la cinquantaine, d’une physionomie sympathique, pauvrement vêtu, mais par suite de quel sortilège les manches de ces gounbris que j’apercevais dans l’obscurité du fond étaient-ils si merveilleux que, pris au charme de leur coloriage, j’en demeurais fasciné ? Je me suis curieusement approché pour toucher de l’œil ce miracle : ces bâtonnets de manches, d’ailleurs assez mal arrondis, étaient tout simplement barbouillés, les uns de rouge, les autres de jaune; les rouges décorés de traits symétriques en jaune, les jaunes des mêmes traits en rouge. Des traits posés au pinceau dans la longueur de l’objet, à des distances en rapport harmonieux avec sa grosseur. Le tout enlevé avec grâce. C’est le propre de l’art, en Orient, dans les petits métiers : faire quelque chose de charmant d’un rien. On s’étonne après coup qu’il soit possible d’abuser aussi longuement les yeux avec de simples bariolages. Le secret de cette magie tient, n’en doutez pas, à la candeur du bonhomme qui peinturlure ces bouts de bois.
Le marchand, le sourire aux lèvres, me regardait avec étonnement avancer le nez dans sa boutique. Sa clientèle ordinaire est de si petits gens ! Je lui ai acheté, d’un coup, une douzaine de ses gounbris ; de quoi faire plaisir, à Paris, à des artistes avertis.