La medersa Ben Youssef dans les écrits d’André Chevrillon Marrakech dans les palmes
Né à Ruelle-sur-Trouve en 1864, neveu d’Hippolyte Taine, André Chevrillon passe quelques années de son enfance en Angleterre, entame de brillantes études universitaires de littérature qui le conduiront à être reçu premier à l’agrégation d’anglais, suivie d’une thèse de doctorat sur Sydney Smith et la Renaissance des idées libérales en Angleterre au 19 siècle. Le succès de son premier récit de voyage (Dans l’Inde 1891) lui permit d’abandonner son poste d’enseignant universitaire pour se consacrer entièrement au métier d’écrivain et de journaliste à partir de 1894.
André Chevrillon accomplit de nombreux voyages vers les Etats-Unis, l’Egypte, la Palestine, l’Asie, le Maroc et l’Algérie qui, donnèrent lieu à de sublimes récits de voyage et de nombreux articles parus dans la presse. André Chevrillon consacre trois livres au Maroc. Le premier, Crépuscule d’Islam, à une époque trouble où peu d’occidentaux s’aventuraient en terre du Maroc. Le deuxième, Marrakech dans les palmes, dont le premier chapitre décrivait Marrakech en 1913, au tout début du protectorat français, le deuxième chapitre, écrit en 1917, suite à l’invitation du général Lyautey. Le troisième, Visions du Maroc, est paru en 1933.
Ses récits de voyage qui abordent les paysages et monuments dans un style lyrique comportent néanmoins beaucoup de préjugés ethniques dûs à l’influence des théories de Taine. Avec son style poétique, André Chevrillon légua un des plus beaux textes sur la medersa Ben Youssef.
« celle de Marrakech est du même type, moins riche, sans doute que la Bouanania , mais vivante, toujours, et belle pourtant entre les belles. Bien entendu, on retrouve dans ce calme patio tous les thèmes accoutumés de l’architecte de l’ornementation mauresques ceux que l’Europe a connus surtout par l’Alhambra : ogive outrepassé, arcades, arcatures, zellijs, dentelles de plâtre découpées au couteau, moucharabiehs, décor géométrique et graphique. Mais l’époque est différente, et combien plus sain, plus fort, cet art plus ancien que tout ce que l’on voit à Grenade! Même rapport d’une œuvre à l’autre que du meilleur gothique au flamboyant. Ici la richesse de l’ornement se subordonne aux grands éléments fondamentaux de l’architecture. Ce qui s’affirme d’abord, c’est la construction, l’ordonnance, la logique des membres qui portent, soutiennent : piliers, arcs, tympans, linteaux, consoles, poutres. Simplicité de l’ordre, justesse des proportions, évidence des lignes maîtresses, qui sont les lignes de force et de résistance : de tout cela naît, dans ce cloître assez réduit, l’impression de la grandeur.»
«Car en ces medersas, si l’ornement se subordonne, il n’en est pas moins de richesse infinie. Sur cette forte membrure de l’édifice, la merveille de décor, depuis les zellijs constellés des soubassements jusqu’aux rangs de turquoise du toit, est comme une parure de perles, joyaux, colliers, comme une mousseline brodée, qui ne cache pas en la couvrant l’harmonie de la forme vivante. Et cette même grandeur que l’on a perçue dans l’ensemble se retrouve dans le menu détail de décor. Ces soleils sculptés aux plafonds, aux vantaux, ces moucharabiehs des galeries basses ont cette ampleur de la ligne et du volume, cette simplicité presque rude que l’on admire aux plus vieilles gardes de sabres japonais. En fin tout est de tonalité grave. Grise, couleur du temps, couleur de toile d’araignée, la guipure murale dont le flot épais vient se suspendre envelopper comme d’un châle mille fois ruché, les arches des grandes et petites baies. Et plus sombre encore, le magnifique cèdre qui règne par en haut, ―aux linteaux, aux tympans, aux frises, ― partout découpé comme le santal d’un coffret de l’Inde, ou bien chargé de beaux jambages en relief, d’inscriptions à la louange d’Allah et du sultan fondateur. C’est ce cèdre, si chaud, si vivant, qui fait la grave originalité des medersas mérinides. Souvent il a pris l’aspect noir et fumé d’anciens laques religieux et précieux de la Chine. Par cette patine, comme par le fouillé et la perfection de la guillochure, certaines poutres rectangulaires, et les consoles, corbeaux qui les soutiennent, semblent bien d’un temple chinois.»