Portrait du Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah dont Marrakech fut la capitale pendant un quart de siècle (1757-1790)
Extrait d’un article de Brahim Boutaleb paru dans le Memorial du Maroc. Volume 3 (ed 1983).
«L’historien Addouief, son contemporain de Rabat, l’a décrit en ces termes : “Le teint brun, la taille accomplie, le nez parfaitement busqué, la barbe étendue, les épaules larges, les mains fortes, le visage avenant, toujours généreux, délibérément porté à fermer les yeux, sachant pardonner, homme de lettres d’une claire éloquence, clément et modeste, compatissant et généreux, connaissant le fiqh et la sounna, le licite, et l’illicite, et la manière de juger".
L’historien az-Zaïni qui a été son ministre en a dit de son côté : “D’une très grande dignité, aimant la gloire et sachant la mériter, il est généreux à la manière de qui ne craint rien de la pauvreté. Toute chose est chez lui à sa juste place. Il connaît les hommes par leur rang et leur en tient juste compte, fermant les yeux sur leurs manquements et prenant en considération les précédents (…) Modeste et profondément reconnaissant à Dieu, chaque fois que lui parvient la nouvelle d’une victoire ou de tout ce qui est de nature à plaire aux Musulmans, il se prosterne le front à terre, en action de grâce, au milieu de son méchouar, sous les yeux des notabilités et du commun du peuple". Toute ces belles qualités trouvent confirmation dans les témoignages européens.
En 1756 le Français Guys l’a présenté en ces termes : “le Prince du Maroc est (…) bien fait, d’une taille haute et bien proportionnée, les traits de son visage sont réguliers. Toujours habillé simplement sans être fier ni sauvage, il n’aime ni le faste ni la représentation. Il est accessible, bienfaisant, populaire et on voit à la fois en luy les sentiments élevés que sa naissance luy donne et la simplicité des mœurs de ses sujets".
En 1765, Bidé de Maurville qui fut son prisonnier pendant près de trois ans lui trouvait “beaucoup d’esprit naturel, le jugement le plus juste et le tact le plus fin; il est d’ailleurs religieux, grand politique, fidèle à ses engagements, juste quand ses intérêts ne sont pas compromis, humain (…) et sobre".
Le Danois Höst, à la même époque, affirme que Sidi Mohammed “a surpassé tous ses prédécesseurs en douceur, modération, chasteté, intelligence et connaissance".
Louis Chenier enfin, qui fut consul de France à Rabat de 1767 à 1782 précise qu’il avait cinq pieds six pouces, soit une taille de un mètre quatre-vingt-quatre environ, le visage avenant en dépit d’un léger strabisme, robuste et ignorant la fatigue, vivant sobrement, gouvernant à cheval comme tous ses prédécesseurs “Il est né", dit-il, “avec un jugement solide et avec des dispositions à acquérir des connaissances (…) Il n’a pas souillé son trône du sang de ses sujets comme l’ont fait ses aïeux du temps où cette cruauté pouvait peut-être devenir nécessaire". Investi du gouvernement de la moitié méridionale du pays, dès 1745, il eut le temps et la latitude de montrer les bienfaits de sa modération. Dès qu’il fut installé dans le Haouz, la grande confédération des Rehamna se révolta contre lui. Il quitta donc Marrakech et s’établit à Safi. Là–bas sa manière de gouverner et son équanimité lui rallièrent si bien les Ahmar et les Abda ainsi que les Haha et les Chiadma que les Rehamna ne tardèrent pas à revenir de leur première erreur. Une délégation vint de leur part solliciter son pardon et obtint de lui qu’il retournât à Marrakech. En quelque deux ans, Sidi Mohammed avait su apaiser les esprits dans cette partie du pays. Il put lever une vaste armée avec laquelle il intervint progressivement bien au-delà des horizons du Haouz. Il passa d’abord dans le Souss où il libéra Agadir où un “fquih" du nom de Salah s’était taillé une sorte de fief. Ensuite, il regarda vers les plaines atlantiques du Nord où il entreprit de rétablir l’autorité de l’Etat. Les Chouïa, les Bani Hassan du Gharb, toute la péninsule Tingitane, y compris Tétouan, le reconnurent pour nouveau maître. Rabat et Salé seules crurent pouvoir lui résister. La famille Fennich, responsable du fait, en paya plus tard lourdement le prix. En fait, le pays marocain avait un tel besoin d’être dirigé avec fermeté, qu’a la mort de Moulay Abdallah en novembre 1757, la proclamation de Sidi Mohammed prit l’allure d’un plébiscite.»