Place Jemaa-El-Fna : un appel irrésistible
C’est moi ou la place Jemaa el Fna, lança avec fureur un fils de famille. Il venait d’apprendre que sa fiancée était habitée par l’esprit de la place. Elle se dissimulait sous un voile pour venir à la place tatouer de henné l’épiderme des femmes. La légende assure que la fiancée préféra sans remords la mythique place.
Depuis la nuit des temps, le rituel est immuable
Tatoueuses assises à l’ombre d’un parapluie, seringues de henné prêtes, à l’affût de mains à tatouer, guérisseurs en djellaba bleu de Touareg, charmeurs de serpents et danseurs Gnaoua perpétuent la magie de cette place qui ne semble avoir de semblables nulle part. L’étymologie de la place Jemaa el Fna demeure un mystère. Pour certains, Jemaa el Fna signifie « l’assemblée des trépassés »en référence à son passé de place de grève où étaient exposées les têtes des suppliciés. Pour d’autres, elle évoquerait la « mosquée de l’anéantissement » du XVe siècle dont la construction fut interrompue par la terrible peste qui fit des ravages parmi la population de Marrakech et emporta le sultan al Mansour qui avait ordonné la construction de la mosquée. Aujourd’hui la place Jemaa el Fna est devenue le cœur palpitant de Marrakech. Paul Bowles résumait ainsi ses impressions :« Si Jemaa el Fna n’existait pas, Marrakeche serait une ville ordinaire »
Une place qui change d’aspect selon l’heure et le point de vue.
Certains guides comme le Fodor recommandent de découvrir la place Jemaa el Fna le matin et d’en faire une découverte à l’improviste. Cependant une grande majorité de guides recommandent de la découvrir au coucher du soleil et de préférence à partir d’une terrasse de café pour embrasser du regard toute la place. Un vieux Marrakchi surenchérit : « tous les guides se trompent, on ne peut l’attraper d’aucune façon ».
Une place qui s’embrase dés que le soleil a fini de s’embraser
La journée commence tôt à Jemaa el Fna. Dés 7h du matin, la place est investie par les premiers bateleurs, suivis des montreurs de singes, des tatoueuses de henné et d’Aïssawa immunisés contre les morsures au venin. L’après midi, arrivent en renfort, des troupes de travestis, des troupes de Gnaoua reproduisant leurs rites mistiques, des fqih soignant leurs patients avec d’étranges talismans et conteurs de légendes de mille et une nuits …Mais dés que le soleil a perdu de son ardeur et que le crépuscule s’approche, les événements s’accélèrent, des dizaines de carrioles livrent simultanément leurs cargaisons de charbon, en moins d’une heure, la place se transforme en immense restaurant à ciel ouvert. Des hordes de cuisiniers en blouse blanche attendent de pied ferme l’arrivée des premiers clients et les vitrines rivalisent d’abondance, des fumées alléchantes se répandent de partout et nimbent les lumières des premières guirlandes d’ampoules. Des rates de moutons roussissent sur les braises, des senteurs appétissantes émanantes des soupes d’escargot et de harira fumantes se répandent au quatre vents, des têtes de moutons cuits à la vapeur trônent sur certains étals, des poissons rissolent dans l’huile bouillante. C’est le moment idéal de profiter de la disponibilité de places, car les tables étant prises d’assauts ; le choix se rétrécit assez vite pour les retardataires. Au sud de la place raisonnent joueurs de flûte et de derbouka, des charmeurs de serpents soufflent dans leurs ghaita à un rythme endiablé et sortent avec beaucoup d’effets un nouveau reptile à chaque occasion, des danseurs et musiciens Gnaoua qui exécutent des sauts en tourbillon au son des crotales et des banjos à trois cordes en boyaux de bouc. Des cercles se font et se défont autour des conteurs, des acrobates venus du Sous et des bateleurs…Une frénésie qui dure jusqu’à l’appel de la prière sonnant la fin de la nuit.
Un désordre apparent qui cache une organisation sans faille
Il est difficile pour un touriste d’imaginer que le désordre apparent qui règne en maître sur la place cache en fait une organisation sans faille. Après l’inscription de la place Jemaa el Fna comme premier site de la liste UNESCO des chefs d’œuvres du patrimoine oral et immatériel de l’humanité, les autorités ayant compris le rôle stratégique de la place pour promouvoir la destination Marrakech ont décidé une réorganisation en profondeur de la place. Les bus ont cessé de déverser les hordes de voyageurs, les coiffeurs et vendeurs de pain déplacés vers d’autres places et les voyantes qui lisaient l’avenir sur du plomb sommées d’aller exercer ailleurs. Le vieux bazar d’antan a laissé place à une hiérarchie organisée. Une bonne part a été réservée aux gargotiers qui disposent de stands numérotés. Ils disposent moyennant redevance d’eau et d’électricité, ce qui du coup a mis fin aux vieux groupes électrogènes qui empestaient la place. Les vendeurs de jus ont eu droit à de beaux carrosses numérotés disposées au centre de la place. Le bureau d’hygiène communal, effectue rigoureusement les contrôles sanitaires, deux à trois fois par semaine. Ansi se perpétue la légende de Jemaa el Fna, livre sacré écrit par le petit peuple, étrange place où, selon l’expression de Jose Angel Valente, le visiteur est « comme à l’orée d’un rêve, sans y pénétrer »…